Daryl Hubert

Laboratoire artistique d’action culturelle

Cette travailleuse de cortège, ou plutôt, cette « rêveuse au balai entourée de sa conscience excentrique » – qui a fait apparition durant la Parade phénoménale il y a quelques jours – a été au cœur d’un parcours d’explorations artistiques, de réflexions sociopolitiques et d’expérimentations en collectif avec Pourquoi jamais depuis 2017. (Frappée de plein fouet par la pandémie au printemps 2020, il aura fallu attendre le mois d’avril 2022 pour reprendre plus activement les activités du collectif et relancer ce déambulatoire [fut-il] en marche.)

Parallèlement à tout ça, durant cette même période, j’étais aux études à la maitrise en communication à l’UQAM. Le processus, les réflexions critiques et les créations menant à La Troupe expérimentale du Temps libre de Pourquoi jamais ont fait l’objet d’un mémoire de recherche-création déposé en avril 2021. Celui-ci visait notamment à apporter une contribution critique au sujet des pratiques artistiques collectives et des processus d’actions culturelles visant la transformation sociale.

Je vous partage ci-haut la documentation vidéo du parcours menant à ce projet (2017-2020), ainsi que le mémoire écrit qui l’accompagne : La Troupe expérimentale du Temps libre : un laboratoire artistique d’action culturelle (https://archipel.uqam.ca/14984/1/M17109.pdf).

Enfin, dans le contexte sociopolitique inquiétant des temps qui courent, je suis d’avis que nous avons un grand besoin de multiplier les occasions de rencontres artistiques, et participer à décupler leur autonomie et leur effervescence le plus largement possible. Nous avons besoin de l’art, de ce supplément d’âme qui observe la réalité avec attention, libère, critique, crée du commun et dévoile les possibles à construire. J’en suis convaincu, l’art nous est indispensable dans toute stratégie d’émancipation visant à transformer la société; société qui, à mon sens, se révèle inhumaine, destructrice et de plus en plus dépassée.

Je vous laisse ici avec deux citations d’Isabelle Garo que je trouve particulièrement intéressantes dans son livre L’or des images (2013).

Cette autonomie revendiquée et construite contre les normes capitalistes dominantes constitue la dimension politique fondamentale de l’art et des savoirs. Ainsi définie, elle n’est en rien illustrative, mais profondément créative, associant plusieurs dimensions, pas nécessairement toutes présentes en même temps : une exploration du réel par-delà les éléments reçus et les savoirs acquis ; un retour critique sur les savoirs et la culture dominants, tels qu’ils sont incorporés au fonctionnement capitaliste ; une volonté de donner à voir et à penser cette domination capitaliste elle-même en vue de participer à son abolition ; une culture de l’imagination et de l’anticipation qui ne se coupe pas des conditions réelles qui les nourrissent. (p. 244)

Finalement, la leçon donnée par l’art, ou par cette partie de l’art à la politique tient surtout à cette capacité, non à dessiner des futurs merveilleux, mais à alimenter des tensions ou des tendances, à soumettre à la réflexion collective la recherche individuelle. Après tout, la perspective d’une sortie et d’une abolition du capitalisme relève fondamentalement de la même capacité à préparer et à imaginer, de ce jeu de la pensée en somme, mais d’un jeu qui s’articule très rigoureusement à la fois à ce qui est, et à la conscience partagée que cet état des choses ne peut se prolonger. Cette inventivité politique, qui relie ou doit relier la critique élaborée aux inventions collectives et aux initiatives sociales et politiques, qui se nomme stratégie, trouve aussi son double dans l’art, sur un mode plus interrogatif, mais non moins inventif. Dans les deux cas, l’art et la politique d’aujourd’hui ont à nous rendre le goût de l’invention… (p. 269)

Le temps est 2

Le temps est un fil infini sur lequel il est trop bon de se laisser bercer.

… le nuage qui nous murmure des histoires souriantes, couché sur le dos.

… cette chaude chandelle qui bouge au rythme du pétillement d’un feu.

Le temps est cette journée pluvieuse, ou de maladie, qui nous fait apprécier l’ennui.
Il est ce voilier qui nous fait voyager.

Il est ce breakdance improvisé sans détour, avec un enfant, une soirée de party.
Il est l’étoile qui scintille la réalisation d’une corvée collective.

Le temps est un espace dans lequel il est si bon d’entrer.

Le temps est un vertige qui nous donne envie d’exister.

Le temps n’est pas un biscuit sec sans goût.

Il n’est pas un feu d’artifice qui tombe dans l’oubli.

Il n’est pas un baiser anodin.

Ou une télésérie crève cerveau un soir de semaine.

Il n’est pas non plus la grandeur du veston que je porte.
Ou la vapeur qui fait pression sur mon mur d’actualité.

Il n’est pas une grève en trop.

Ou le minerai inerte pour lequel on doit arrêter de se préoccuper.

Le temps est l’une des choses les plus précieuses avec laquelle l’on doit toutes et tous dialoguer.

Le temps sous contrainte capitaliste est une horloge, tic tac, qui nous observe.

Ce type de temps est une plaie douloureuse causée par l’effet de gravité d’une chaise de bureau.

Il est un ver de terre mal en point qu’on continue de sectionner à l’infini.

Il est cette douce brise qui s’écroule sous la lumière cathodique de mon ordinateur.
Il est ce gros caillou qui fait obstacle au temps lui-même.

Le temps sous contrainte capitaliste est un sentiment d’étouffement imposé par la matraque.

Il est une dette que l’on contracte à la naissance.

Une fleur qu’on oublie.

Il est la chose qui me fait marchandise.

Sans nuance, il est la chose qui m’est tout simplement… volée.